L’INDUSTRIE DU REMORQUAGE S’EST DISCIPLINéE à MONTRéAL

Montrée du doigt il y a cinq ans en raison de la mainmise du crime organisé, l’industrie du remorquage à Montréal s’est assagie, constate le Bureau de l’inspecteur général (BIG) dans son rapport annuel déposé lundi au conseil municipal. Bien qu’un climat plus sain ait été instauré dans le domaine du remorquage, plusieurs entreprises écartées des contrats ont tout de même tenté de contourner les règles, a cependant noté l’inspectrice générale, Me Brigitte Bishop.

En 2017, le BIG avait dressé un portrait peu reluisant du milieu du remorquage à Montréal : actes de violence, menaces et intimidation étaient des pratiques courantes dans cette industrie pour protéger les territoires, avait observé l’inspecteur général de l’époque, Me Denis Gallant. Le crime organisé avait graduellement pris le contrôle de certains secteurs du remorquage, dont celui des véhicules accidentés. Montréal n’ayant pas accordé de contrats d’exclusivité depuis février 2016, des entrepreneurs avaient la mainmise sur certaines zones. Le BIG avait notamment recommandé que, dans ce secteur, les contrats soient octroyés par appel d’offres et que des enquêtes de sécurité soient effectuées systématiquement sur les entreprises et leurs dirigeants.

En poste depuis 2018 comme inspectrice générale, Me Brigitte Bishop a voulu faire le point sur l’application des recommandations faites à l’époque.

Elle note que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), qui a pris le relais du Bureau du taxi en 2018 pour l’administration et la surveillance des contrats de remorquage, a pris au sérieux les recommandations du BIG. Il a depuis octroyé des contrats d’exclusivité à des soumissionnaires qualifiés et ayant obtenu l’accréditation sécuritaire. « Les efforts du SPVM ont permis d’établir un marché plus sain et équitable », souligne Me Bishop dans son rapport.

Mais les nouvelles pratiques n’ont pas mis un terme au climat de violence et d’intimidation qui a subsisté pendant la période de transition, indique-t-elle. « Des entreprises non qualifiées ont notamment utilisé de nouvelles tactiques afin de doubler les adjudicataires sur les lieux d’accident (ondes d’urgence et incitatifs aux témoins d’accident, entre autres) et de maintenir de cette façon leur place dans l’industrie », relate-t-elle.

L’industrie du remorquage doit continuer de faire l’objet d’une « attention particulière », rappelle Me Bishop. Mais selon elle, les contrats sont désormais accordés à des compagnies de remorquage « responsables » et « intègres ». Des contrats d’exclusivité dans dix secteurs distincts sont maintenant octroyés. Selon elle, l’imposition d’une grille tarifaire unique a permis de réduire les risques de collusion et d’assurer une « facturation juste et équitable ».

Dans son rapport, Me Bishop passe aussi en revue les enquêtes que son bureau a menées à bien en 2022. L’un des rapports déposés portait sur les manquements dans l’octroi de contrats par la Société de transport de Montréal (STM) dans le dossier du nouveau centre de transport Bellechasse et un autre sur un appel d’offres de la STM pour les services-conseils en rémunération et en avantages sociaux.

En mars 2022, dans un rapport d’enquête déposé au conseil municipal, le BIG avait demandé que le contrat accordé à l’entreprise Services Ricova pour le traitement des matières recyclables soit résilié en raison de « manoeuvres dolosives ».

En juin, c’était au tour des sous-traitances accordées par les Entreprises K.L. Mainville à Louis-Victor Michon et ses entreprises, qui avaient déjà été écartés des contrats de la Ville, d’être dans la mire du BIG.

Ces rapports font dire à Brigitte Bishop « que la délinquance contractuelle ne fait malheureusement pas relâche à Montréal ».

Au cours de l’été 2022, une équipe du BIG s’est aussi penchée sur les chantiers visant le remplacement des conduites en plomb. Le BIG a notamment constaté que seulement trois entreprises ont obtenu en 2022 des contrats pour ce type de travaux, ce qui peut être un signe inquiétant sur de la possible collusion. Mais même au terme d’une enquête approfondie, le BIG n’a pu confirmer la présence de collusion. Le BIG a cependant noté des manquements dans la gestion des sols contaminés, un des sites d’élimination ne détenant pas les autorisations requises. Ces manquements ont été signalés à la Ville, et les correctifs ont été rapidement apportés, indique le rapport.

Contestations judiciaires

Plusieurs entreprises visées par des enquêtes du BIG se sont adressées aux tribunaux dans les dernières années. C’est le cas notamment des Entreprises K.L. Mainville, qui se sont pourvues d’un contrôle judiciaire dans la foulée de la résiliation de deux contrats de déneigement afin d’obtenir un sursis. L’entreprise reprochait notamment à l’inspectrice générale de lui avoir accordé un délai insuffisant pour répondre à l’avis du BIG et prétendait qu’elle avait été privée d’un droit à une défense pleine et entière, ce qu’avait rejeté le juge. Le fondateur d’Entreprises K.L. Mainville, Serge Mainville, conteste maintenant devant les tribunaux la décision de la Ville de le placer sur la « liste noire » de Montréal, ce qui rend sa société inadmissible aux contrats.

Dans un autre litige en lien avec la résiliation de contrats de nettoyage de puisards et d’égouts, l’entreprise Beauregard Environnement s’est adressée à la cour pour obtenir l’accès à plusieurs éléments du dossier d’enquête du BIG, ce que le tribunal a finalement refusé en invoquant l’intérêt public. Sur le fond, le dossier est toujours devant la cour.

En entrevue au Devoir, Me Bishop indique que, le BIG n’ayant été créé qu’en 2014, il est important que les tribunaux en définissent les balises des pouvoirs et des procédures. « La Loi concernant l’inspecteur général de la Ville de Montréal nous accorde une certaine immunité, et les tribunaux ont quand même maintenu cette immunité au motif de l’intérêt public. Je trouve ça très intéressant », explique-t-elle.

Surplus

Pour 2022, le bureau du BIG disposait d’un budget de 6,6 millions de dollars. Or, les dépenses se sont finalement élevées à 4,5 millions, dont 4 millions en rémunération. La somme de 2,1 millions non dépensée, qui avait été prévue pour des services professionnels, sera retournée à la Ville de Montréal. Me Bishop note que son bureau signale chaque année des surplus de cet ordre, car son budget est fixé à 0,11 % de celui de la Ville. « Je juge la Ville lorsqu’elle dépense de l’argent pour les contrats ; je ne voudrais pas qu’on me reproche la même chose. Donc, je fais très attention à mon budget », dit-elle.

Entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022, le BIG a reçu 198 dénonciations, comparativement à 212 en 2021 et 252 en 2020.

Me Bishop terminera son mandat cette année, mais présentera un rapport pour 2023 l’an prochain. « Les manoeuvres dolosives sont partout et de plus en plus sophistiquées. C’est clair qu’on ne peut pas enrayer la collusion et la délinquance contractuelle. Mais tant qu’on est là et qu’on est visibles, je pense que c’est ça qui met un frein. »

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